[ à propos de Tribute to Albers in La couleur autrement, MAMAC, Nice ]
Cette projection vidéo de Julien Bouillon fait référence à la série Hommage to the square Series (1958) du peintre Josef Albers, variation de la gamme chromatique autour d’une même figure géométrique : le carré. En utilisant les média actuels, Julien Bouillon reprend ce principe et réalise un montage vidéo par l’intermédiaire du logiciel informatique Photoshop©. Les premières séquences de la vidéo révèlent l’option de calculs d’images automatisés que l’artiste opère pour parvenir à cet enchaînement de surfaces colorées géométriques rejouant à merveilles le caractère sériel de l’œuvre d’Albers.
L’œuvre de Julien Bouillon pousse à son paroxysme les recherches sur le phénomène optique de l’interaction des couleurs théorisé par Jospeh Albers dans L’interaction des couleurs, 1963. Dans cet hymne à la couleur, « première composante de l’expression picturale » pour Albers, les effets optiques engendrés par la succession rapide de carrés de couleurs superposés sont amplifiés et rappellent le rôle précurseur d’Albers dans le développement de l’Op art et de l’art cinétique dans les années 60. Membre du Bauhaus, Albers a accordé une grande importance au rôle et à la place du regardeur. Ici, le spectateur n’est plus baigné dans un plaisir contemplatif passif, mais réalise une véritable expérience cérébrale et sensorielle. La violence du débit visuel force l’œil à être constamment en mouvement jusqu’à devenir une énergie vibrante hypnotisée par les images stroboscopiques et les illusions d’optique. Julien Bouillon détourne ainsi l’objet même de la peinture par la création d’un environnement animé de chocs visuels et physiques purement picturaux. Cette forme d’actualisation engendre d’autres comportements visuels qui infléchissent sur notre capacité d’appréhension et de réception des œuvres d’art tout en conservant les composantes traditionnelles de la peinture ; la puissance magnétique de la couleur pure ne s’en trouve qu’exacerbée.
Toutefois, derrière cet hommage patent, se cache une critique acerbe du projet moderne resté inachevé. Cette dimension parodique et sarcastique, ce rejet du « faire » au profit de l’automatisation et de la mécanisation – qui sont les emblèmes de la modernité – révèlent d’une attitude désenchantée vis-à-vis du progrès qu’il soit social, technique, etc. mais aussi vis-à-vis des conventions picturales établies.
Lire sur cette posture artistique qui caractérise des générations d’artistes depuis les années 60 : Jean-François Lyotard, Le postmoderne expliqué aux enfants, éditions Galilée, Paris, 2005.
Rébecca François, Nice, 2011